LE SENS DES ÉPREUVES DE VIE

29-03-2022 | Alchimie, Connaissance de Soi, Écriture, Spiritualité, Thérapie

par Sandra Korol

La jeune femme qui est assise devant moi a le regard baissé en direction de sa main droite qui repose, paume tournée vers le haut, sur l’accoudoir du fauteuil. Elle y observe la réverbération des éclats pastels d’un soleil d’hiver bas et orangé qui traversent les carreaux du vitrage et s’écoule sur sa peau. Comme si elle récoltait, une à une, les gouttes d’une source délicate et qu’elle les faisait rouler dans le creux de sa main. Sans quitter des yeux ce ruissellement d’ombre et de lumière, elle laisse échapper quelques mots d’une voix épuisée par les larmes qu’elle vient de verser.

À quoi ça sert ? Je veux dire, quel est le sens d’épreuves pareilles ? Soit tout est bloqué dans ma vie, soit ça bouge, mais ça ne tient pas, ça s’effrite. Je passe mon temps à faire en sorte que les choses ne s’écroulent pas. Et je suis épuisée. C’est le karma, c’est ça ? Je suis en train de payer ? Et les autres, ils vivent ça aussi ? Parce que quand je les regarde, on dirait que c’est plus facile. Ils gèrent. Ils sourient. Ils s’amusent. En même temps, je me dis bien que ça doit avoir du sens, tout ça. Mais vraiment, là… Je ne comprends pas. C’est comme si la vie essayait de me dire quelque chose et que, moi, je ne comprenais pas…

Elle a prononcé les dernières syllabes d’une voix brisée. Elle lève ses yeux vers moi et j’y lis tout le désespoir et l’impuissance que l’on peut ressentir lorsque nous sommes confrontés à des épreuves qui nous dépassent. Par leur intensité. Par leur insistance. Par leur sens. Si, pour autant, il y en a un.

Cette question du sens à donner aux épreuves que nous rencontrons revient très souvent en thérapie. Les personnes me confient avec douleur leur sensation d’être à la merci d’une trame mystérieuse qui n’aurait de cesse de distribuer fortune et calamités, de façon aléatoire, et sans qu’elles n’y puissent rien faire. 

Est-ce de ma faute ? Est-ce le courroux d’une ancêtre maltraitée qui a laissé son empreinte sur les générations suivantes ? Suis-je « squattée » par une entité ? Comment savoir et, surtout, que faire ? J’aimerais tant avoir droit, moi aussi, à la joie et à l’apaisement. 

À L’ÉPREUVE DE LA CONSCIENCE

 

Jung avait pour habitude de dire : « Tout ce qui ne parvient pas à la conscience revient sous forme de destinée. » 

Autrement dit, tant que nous n’avons pas pris conscience d’un élément essentiel concernant notre évolution, cet aspect va se manifester dans notre vie autant de fois qu’il le faut, afin que nous nous éveillions enfin à sa présence et que nous permettions à ce spectre – cette partie non conscientisée de nous – de quitter sa crypte et de réintégrer notre être. Alors seulement, nous promet-on, la Destinée nous offrira la sérénité, fruit promis en échange de ce travail. Soit. Encore faut-il comprendre à quel niveau cela se passe.

 

RENCONTRE AVEC L’ADVERSAIRE

 

Lors des ateliers d’écriture que je donne, il y a une étape singulière du chemin initié par l’héroïne / le héros dont j’aime tout particulièrement parler. Cette étape se nomme : rencontre avec l’Adversaire. 

Mettons un peu de contexte. 

À ce moment de l’histoire, notre Personnage principal vient de vivre ce qu’on appelle, dans le jargon de l’écriture, un élément déclencheur. Cet élément déclencheur est un évènement extérieur qui fait irruption dans la vie de la Protagoniste et qui se caractérise par ce que l’on pourrait appeler un très sévère revers de fortune dans son monde quotidien. Pourtant, ce cataclysme du quotidien – qui installe une immense instabilité – permet en même temps l’apparition de ce que l’on nomme le seuil de l’aventure. Et, pour peu que notre Protagoniste accepte de le traverser, ce seuil jusqu’alors secret et invisible va lui permettre d’entreprendre une quête visant à rétablir ce qui vient d’être mis mal dans sa vie. 

Bien entendu, notre Personnage n’était pas du tout prête à partir à l’aventure et ses premiers pas dans le monde héroïque sont à la fois immatures et orgueilleux. Et Elle va s’en rendre compte très rapidement en fracassant les crocs de sa vanité sur l’armure de son Adversaire qui, déjà, se pointe à l’horizon.

 

UN ADVERSAIRE FAIT SUR MESURE

 

Soulignons tout de suite ici qu’il n’est pas question de se retrouver nez à nez avec un Adversaire de pacotille. Oh que non. On remarque immédiatement que cet Adversaire est singulier et pour cause, Il est attitré à notre Personnage. Notre Personnage principal ne peut avoir comme Adversaire que cet Adversaire-ci ! Il a été fait sur mesure, pour Elle.

En d’autres termes, dans la fiction, Personnage principal et Adversaire sont intimement liés. Comme les deux faces d’une même pièce. En effet, l’Ad-versaire, c’est littéralement l’Autre Versant de notre protagoniste.

Si nous devions donner une image, ce serait celle de deux versants qui constituent la même montagne. Lorsque l’un des deux versants se trouve au soleil, l’autre, automatiquement, se trouve dans l’ombre. Lorsque l’un des versants est visible, l’autre est invisible. Ou, encore, lorsque l’un des versants est conscientisé, l’autre versant est inconscient. 

Or, l’Adversaire, dans une histoire, c’est exactement cela : le versant de la montagne qui se trouve dans l’ombre. Notre Protagoniste, elle, est en lumière ou, tout du moins, se croit être en lumière. Elle croit savoir Qui Elle est et tout connaître d’Elle-même. Au contraire, l’Adversaire serait, Lui, dans l’ombre. Effectivement, dans les histoires, on ignore généralement, au départ, qui est l’adversaire et sa mise en lumière participe du coeur du mystère. 

Mais, comme nous l’avons vu plus haut, la Protagoniste et l’Adversaire sont intimement liés, comme deux faces, deux versants d’une même pièce, ou d’un même masque. 

Ainsi, l’Adversaire est le versant inconscient de la Protagoniste, le versant qui se trouve dans l’ombre et qui ne reçoit pas encore la lumière.

 

CE QUE NOTRE PROTAGONISTE REFUSE DE VOIR

 

On comprend dès lors que l’Adversaire représente bien évidemment la part d’elle-même que le Personnage refuse de voir à son propre sujet.

Et c’est bien normal ! L’Adversaire n’est-il pas caractérisé par son utilisation immorale de la ruse dans le seul et vil but d’assouvir ses propres désirs ? L’Adversaire, on le sait, ne cherche que l’accumulation du pouvoir, pour obtenir plus de contrôle sur son monde extérieur et, donc, plus de bénéfices égoïstes. Quant à son utilisation de la tricherie, du mensonge et de la manipulation pour parvenir à ses fins, elle n’est plus à démontrer ! 

Rien à voir avec notre Personnage qui est une belle personne qui cherche toujours à faire le bien, Elle.

Sauf que. 

Les – vraies – histoires ne sont pas là pour nous divertir ou nous caresser dans le sens du poil. Elles sont là pour nous faire grandir. Nous faire grandir en ramenant à notre conscience ce qui s’était perdu dans les marécages de l’oubli. 

Là où notre mental y lit des paroles et des aventures pour se divertir, notre Âme, Elle, y détecte un enseignement de maturation. Et, lorsque ces histoires hermétiques – étranges et secrètes – se fendent et s’ouvrent – délivrent un enseignement qui nous touche et que nous comprenons -, notre perception de nous et de ce qui nous arrive se modifie automatiquement. 

 

QUAND L’ADVERSAIRE EXTÉRIEUR DÉVOILE L’ENNEMI INTÉRIEUR

 

Dans le cas qui nous intéresse, l’enseignement nous permet ici de comprendre que l’Adversaire extérieur apparaît, dans la vie de notre Personnage, pour mettre en lumière ce que j’appelle l’Ennemi intérieur et qui est la véritable pénombre à illuminer. 

Par un subtil jeu de reflets donc, l’Adversaire extérieur, qui rassemble à lui seul toutes les fourberies du monde, serait donc le miroir inversé de notre Protagoniste, sorte de réservoir contenant les aspects que notre Personnage – allez, que nous ne souhaitons pas voir.

Les caractéristiques hideuses de l’Adversaire renverraient en fait à ces aspects de nous-mêmes dont nous nous défendons qu’ils existent. 

Non, je ne mens pas, moi ! Non, je ne ruse pas, moi ! Non, je ne suis pas fourbe, moi ! 

C’est l’autre, le méchant. C’est l’alter ego qui est détestable et répréhensible. Moi, je suis la gentille personne de cette histoire, celle qui a raison et qui fait juste.

Au coeur de cette histoire secrète, pourtant, ne se trouvent ni « méchante » ni « gentille ». Simplement, de l’ombre et de la lumière. Et l’ombre – un défaut – n’est rien d’autre que de la lumière – une qualité – qui ne s’est pas encore exprimée. 

Aucune notion de bien ou de mal, donc. Plutôt, quelque chose de l’ordre de la lumière libre et consciente, qui brille vers le dehors, ou de la lumière inversée, amnésique, qui brille vers le dedans et s’étouffe.

 

LA PEUR

 

Ainsi, la vérité est que, oui, parfois, je mens. 

Aux autres. 

Mais avant tout et majoritairement à moi-même.

Parce que j’ai peur.

Et oui, c’est vrai, parfois, je ruse. Parce que j’ai peur.

Et parfois aussi, je suis carrément fourbe. Parce que j’ai peur.

Et que c’est la seule chose que je trouve, en moi et à ce moment-là, pour me défendre contre cette peur. Je mens, je ruse, je fourbe.

Seulement, lorsque j’empoigne les mêmes armes que l’Adversaire dans l’espoir de maîtriser ma peur, je prends le visage de l’Adversaire également. Son visage et son énergie. Je deviens l’Adversaire. Je deviens cela même que je déteste.

 

LES CROYANCES QUI ME COUPENT DE QUI JE SUIS VRAIMENT

 

C’est ce mouvement de métamorphose involutive – qui nous précipite vers notre chute – que j’appelle l’ennemi intérieur. Et c’est l’existence de cet ennemi intérieur que permet d’éclairer la présence de l’Adversaire lorsqu’Il apparaît dans notre vie, par le biais des « épreuves du quotidien ».

L’ennemi intérieur, c’est la croyance qui me coupe de Qui Je Suis vraiment. 

Cette croyance va s’exprimer sous de multiples formes que nous connaissons et qui sont une variation de la croyance suivante : si je me montre telle que je suis et que j’exprime vraiment Qui Je suis et ce que je ressens, sans filtre et en parfaite honnêteté, alors on ne m’aimera plus.

Très simplement dit, l’ennemi intérieur est nourri par notre impossibilité d’être en Amour de Soi.

LA TERREUR DE RESTER SEUL AU MONDE

 

Les enfants et les adultes portent en eux une terreur partagée dont on ne parle pas. Comme un secret honteux que l’on traîne toute sa vie : la terreur de rester seul au monde parce que personne ne nous aime.

Nous comprenons désormais qu’au travers de leurs histoires mythiques, toutes tricotées du fracas de l’Ombre et de la Lumière, les Sages nous murmurent que les épreuves que nous apporte l’Adversaire ne sont là que pour nous aider à prendre conscience de la présence de cet ennemi intérieur qui, en notre sein et hors de notre conscience, déverse des paroles de fiel à l’encontre de notre propre Essence. 

Cet ennemi intérieur tout recroquevillé dans sa terreur de demeurer seul au monde et terrassé, terrifié à l’idée de générer lui-même sa propre chute vers ce gouffre de solitude et de noirceur : le non-Amour de Soi.

Un ennemi intérieur, comme une part de moi tout entière prise dans une tempête faite d’oubli de sa nature divine et lumineuse.

Ainsi, on murmure que le véritable rôle de l’Adversaire n’aurait rien à voir avec le fait de nous anéantir. Au contraire, sa mission plus élevée serait en fait de générer un tel choc en nous que cela nous permettrait, par une prise de conscience de ce jeu de miroir et d’écho, de libérer cet ennemi intérieur qui baigne dans l’oubli et la haine de Soi. 

Par libérer, on peut entendre sublimer, transformer. L’alchimiste dira qu’il s’agit de se souvenir que tout est Lumière – Amour, donc – et qu’il s’agit donc de réintégrer cette part d’ombre qui est, en fait, de la Lumière qui a oublié qu’elle était Lumière ! De l’Amour qui a oublié qu’Il était Amour !

Ces parties de nous ainsi maîtrisées, dans le sens de harmoniser, nous permettraient alors de nous présenter, vraiment, aux autres et au monde. 

Sans masque. Sans artifices. Sans courbette de la colonne. Ni rictus ni tremblement. Et sans haine aucune, bien entendu. En Amour de notre véritable Visage.

Parce que notre Amour de Soi aurait ressuscité et qu’Il imprégnerait si profondément nos cellules qu’il ne serait plus possible d’y déroger. 

 

L’ADVERSAIRE S’INCLINE ET S’ÉVAPORE, C’EST LA LOI.

 

Alors, nous dit-on enfin, les épreuves s’apaisent et l’Adversaire – qu’Il soit apparu sous la forme d’une personne spécifique ou d’un évènement – l’Adversaire s’incline et s’évapore. C’est la Loi. 

Car les épreuves portées par l’Adversaire ont fait leur oeuvre. Elles ont fendu, en nous, les écorces des reflets. Et, nous, nous avons trouvé la force de déposer ces écorces, nos écorces, à nos pieds. Nous nous en sommes défaits. Ce faisant, nous renaissons de façon neuve. Alors, retournant à l’humus, ces épreuves engendrent fleurs et fruits. Cela aussi, c’est la Loi. Car la mort s’accompagne toujours d’une promesse de renaissance qui contient, en elle, une récompense en cela que c’est toujours – et uniquement – le passage d’un état archaïque à un nouvel état, plus élevé. Nous devenons notre propre récompense.

Surtout, ces épreuves auront aiguisé notre courage. Le courage de devenir visible. Le courage, surtout, d’être en Amour de Soi. De façon invincible et inaltérable.

En face de moi, un dernier éclat de soleil passe à travers la vitre et glisse sur les chaussures de la jeune femme avant de retourner au Mystère. Les larmes ont encore coulé. Elle hoche la tête et soupire. Puis, elle se mouche. Longuement. Et très bruyamment.

Un petit sourire apparaît sur son visage.